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Chapeau Rouge 18h10. Le trottoir est noir de monde, on fait la queue devant une boulangerie comme au temps des disettes. La ville de Quimper a invité Robert Badinter, ex-garde des Sceaux de François Mitterrand, à l'occasion du 30ème anniversaire de l'Abolition de la peine de mort en France. Je croise les doigts pour faire partie des 550 heureux à pouvoir suivre la conférence... car j'ai vraiment envie de tester la venue de Robert Badinter...

 

N° matricule 491. Ouf. Je peux rentrer dans l'immense salle du Chapeau Rouge, où quasiment toutes les places assises sont occupées. "A quoi bon rester debout au fond de la salle" me dis-je... Autant l'être devant à proximité de la scène. Debout devant, j'observe "le gratin quimpérois". La première rangée est vide, réservé au "Pipole", la seconde à divers élus, avocats, membres du barreau. Madame Poignant, pointe du doigt les chaises vides et fait les comptes des convives "illustres" restant à arriver. Puis elle ôte plusieurs réservations de chaises... Ma chance ?!. Ni une, ni deux, j'ose demander si désormais, les places sont libres pour un quidam comme moi? Dans un joli sourire, elle m'indique que oui... Me voilà au second rang, par concours de circonstance. Soudain la salle bruisse, une vague de murmures semblent avancer vers moi... Je me retourne, et vois le cortège: Robert Badinter devance Bernard Poignant qui précède Le Préfet Pascal Mailhos suivi quelques pas plus loin par Jean Jacques Urvoas député du Finistère.


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Photo Pascal Pérennec [http://galerie.mairie-quimper.fr/BADINTER/index.html]

 

Monsieur le Maire présente à Robert Badinter les personnalités du premier rang en progressant vers la scène. Là, ils stoppent devant moi... pour saluer le Procureur de la République. J'observe ce vieil homme, grand sage politique respecté aujourd'hui par tous les camps. De grande taille, se tenant droit, il arbore un joli costume de bonne étoffe et une paire de chaussure superbement cirée. L'homme a de l'allure et de la prestance. Pourtant de ma place, je me rends compte qu'il n'est qu'un homme et part aux toilettes durant 5 minutes laissant Bernard Poignant réviser ses notes.

 

La Conférence commence par quelques mots du premier édile de Quimper, rappelant le contexte de ce rendez-vous: l'anniversaire de cet événement historique notamment au travers des expositions d'affiches à l'Hôtel de Ville et au Pole Universitaire. Il rappelle l'amour de Robert Badinter pour la Bretagne et le fait qu'il ait écrit à l'été 1981 son discours sur l'abolition à Clohars Carnoët.


Robert Badinter prend la parole, et d'une voix claire, disserte durant plus d'une heure sur l'Histoire de l'Abolition en France et l'état des lieux des pays qui usent encore de cette peine dans leurs arsenaux judiciaires. Tout bonnement passionnant d'entendre son récit avec des mots pesés, choisis, justes et avec tant de conviction. La vidéo de cette conférence est visionnable sur le site de la mairie de Quimper.

 

Maître Badinter évoque les grands abolitionnistes français, de l'époque des Lumières à Jaurès en passant par Hugo, dont il utilisera les mots en 1981. En 1848, le Député Hugo a demandé "l'abolition pure, simple et définitive de la peine de mort en France". Pour sa part, Robert Badinter fait la connaissance de la guillotine en 1972 lors de l'exécution de son client Roger Bontems, condamné à mort pour complicité d'assassinat par les Assisses de l'Aube. Il espérait que Georges Pompidou, humaniste et abolitionniste convaincu, allait gracier son client; mais la guillotine est soutenue par 66% des français, et Pompidou ne gracie pas. L'avocat assiste pour la première fois à une décapitation. Choqué qu'on puisse envoyer à l'échafaud un homme qui n'a pas tué, il dit  "Je suis sorti de la prison de la Santé comme un autre homme", sachant que désormais il défendra gratuitement chaque condamné à mort qui le lui demandera, quelque soit son crime. 


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Exposition 'Mort n'est pas justice' visible à la mairie

 

Il n'évoque pas l'affaire Patrick Henry, ni ses autres clients pour qui, il a obtenu un autre verdict que la mort. En lisant son livre l'Abolition chez Fayard, on comprend qu'il a profité du procès du criminel du petit Philippe Bertrand, pour en faire une tribune contre la peine de mort, mettant chacun des jurés face à sa conscience et décrivant la route macabre qu'il a faite quelques années plus tôt avec Roger Bontems. Faire prendre conscience de la barbarie de la sentence, que condamner à mort c'était ni plus ni moins que couper un homme en deux vivant ! Que cela revenait à chacun des jurés de dire plus tard à leurs descendants "j'ai voulu que cet homme meure". Il évoque aussi les cris du peuple devant les palais de Justice qui demande la mort du condamné, cette pression de la rue qui influence, ses sorties protégées sous les insultes, les menaces et intimidations...

 

Il salue le courage politique de François Mitterrand disant sans détour son aversion pour la peine de mort et sa volonté d'abolir, et cela à quelques jours de l'élection alors que le peuple est favorable à 66% à ce type de peine. En juin 81, il devient Garde des Sceaux, et alors que le nouveau gouvernement élabore de multiples lois sociales, il convainc Mitterrand d'abroger rapidement la Peine de Mort. Son argumentaire est le suivant: Jamais en France, il n'y a eu ces derniers mois autant de condamnations à mort, et ce parce que le système judiciaire, parfois défavorable au nouveau pouvoir, est décomplexé d'envoyer à l'échafaud des gens qui seront épargnés par le Président. Ainsi, le nombre de graces augmentera et l'opposition pourra accuser le nouveau pouvoir de laxisme. Mitterrand accepte, et la Loi est adoptée par les 2/3 de l'Assemblée Nationale le 18 septembre 1981 suivi de son approbation au Sénat le 30 septembre 1981. "Il y avait peu de pétales de roses pour parsemer le chemin, mais plutôt pas mal d'épines" s'amuse-t-il à dire, évoquant les batailles avec le camp adverse. Le 9 octobre, la loi est promulguée, et pour éviter qu'en 1986, avec l'alternance, la guillotine puisse revenir, la France ratifie le protocole additionnel numéro 6 à la Convention européenne des droits de l'homme. La conséquence: la France ne peut plus rétablir la peine de mort. En toute modestie, il minimise son rôle, en insistant sur celui des parlementaires courageux, qui selon lui, sont les vrais abolitionnistes, car ayant voté la Loi.


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Exposition 'Mort n'est pas justice' visible à la mairie

 

Pour Robert Badinter, l'abolition, (survenue 1981 en France, alors que nous étions l'un des derniers états européens à la pratiquer) est une marche inéluctable dans le monde. Il cartographie 3 zones mondiales : l'Asie avec surtout la Chine; le Moyen Orient intégriste et les USA. Il garde l'optimisme d'une abolition prochaine, puisqu'en 1981, la France était le 35ème état à abandonner la peine de mort et qu'aujourd'hui il y en a 108.


A la fin de son exposé, il répond à quelques questions, avant d'écouter gentiment et un peu gêné les compliments de Jean Jacques Urvoas sur sa carrière passée. Il lui répond avec malice d'ailleurs "Si mon père avait été là, il aurait beaucoup aimé ce que tu as dit... Si ma mère avait été là... [silence]... elle l'aurait cru".


La salle s'est levée pour applaudir, conscient que Quimper reçoit si rarement la visite d'un homme qui a compté dans l'Histoire récente de notre pays.

Tag(s) : #Conférences - Expos
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